Raphaël Vis, Design Leader, et Armand Macé, Ingénieur Produit, vous expliquent la démarche d’éco-conception de Decathlon autour de la nouvelle palme FF 500 React. A la clé, une palme fluide plus réactive, deux fois plus légère et une réduction de 50 % de son impact environnemental.
Dans un monde toujours plus gourmand en énergie et en matières premières, il est crucial pour les industriels de réduire leur impact environnemental et celui de leurs produits, en intégrant l’éco-conception dès les phases amonts de leurs projets, tant pour leurs installations de production que pour leurs produits. C’est ce que fait régulièrement Decathlon en réduisant ses émissions de CO2 et le potentiel relargage de plastique engendré par ses activités dans la nature.
J’ai eu l’occasion il y a quelques jours d’assister à une présentation de la mise en œuvre de l’approche éco-conception chez ce géant du matériel sportif, pour le développement d’une nouvelle palme de plongée, la FF 500 React, qui vient d’être mise sur le marché.
« Decathlon a dès 2017 réfléchit à son impact environnemental et s’est engagé sur ses ambitions climat en 2019 (réduction de 42 % de ses émissions de CO2 d’ici 2030), en les faisant valider auprès de la Science Based Targets Initiative (SBTi) », explique Raphaël Vis, Design Leader chez Decathlon.
« La première étape est la décarbonation des produits en pratiquant l’éco-conception, mais il faut aussi aller plus loin en repensant nos Business Models pour intégrer des solutions plus circulaires. C’est pourquoi nous nous sommes engagés, dès 2021, sur une trajectoire qui inclut les émissions indirectes, c’est ce qu’on appelle le Scope 3. Et entre 2021 et 2024, nous avons réussi à réduire nos émissions de 14,4 % en équivalent kilo CO2. Ce qui est considérable, sachant que Décathlon a continué de faire de la croissance sur cette même période. Cette année, consécration pour le groupe, qui rejoint le Level of Engagement A du Carbon Disclosure Project (CDP), un système de notation qui met en lumière les entreprises qui ont œuvré en matière de climat. »
Doc : Autodesk
Réduire ‘‘l’intensité carbone’’ des produits
Le premier levier pour réduire ‘‘l’intensité carbone’’ des produits, c’est la matière première. « L’impact environnemental d’un produit se joue en grande partie, environ 75 %, lors de la conception où l’on définit la matière première utilisée et ses moyens de mise en œuvre, depuis son extraction jusqu’au recyclage en fin de vie du produit. C’est pourquoi nous essayons d’optimiser au mieux la quantité de matière utilisée pour réussir à atteindre un objectif significatif de réduction globale de CO2 pour chaque produit », constate Armand Macé, Ingénieur Produit chez Decathlon.
Le projet Palm React, c’est au départ un questionnement autour d’un produit iconique de la plongée, la palme, comment est-ce que l’on peut concevoir autrement un produit qui est largement diffusé, pour en réduire son impact environnemental ? L’idée de départ a été d’optimiser les quantités de matières utilisées en simplifiant la relation entre le maintien du pied dans le chausson et la poussée de la voilure dans l’eau. Lors d’un workshop de création, il a été envisagé de travailler sur une épaisseur constante de la voilure en augmentant sa rigidité par un profil en ‘‘tôle ondulée’’ plutôt que de jouer sur des épaisseurs de renforts. Pour atteindre cet objectif, Decathlon a utilisé les outils de Generative Design, boostés par l’IA, de la plate-forme Fusion d’Autodesk.
Le Generative Design pousse à l’innovation
« On a donné ces conditions d’entrée au logiciel en disant qu’on voulait obtenir telle déformation de la voilure avec telle force. Il nous a alors proposé des structures entre l’extrémité de la voilure et le chausson, avec des formes plus ou moins inattendues et plus ou moins organiques. Ce qui nous a ouvert l’esprit pour aborder la géométrie d’une palme d’une façon complètement différente », explique Armand Macé.
Alors que traditionnellement les renforts sont sur les bords extérieurs de la palme, dans les différentes architectures proposées par le Generative Design, ils sont vers le centre et sont constitués non pas de parties pleines, gourmandes en matière, mais d’ondulations de la voilure à épaisseur quasi-constante.
« Afin, de choisir l’architecture optimale parmi celles proposées par le Generative Design, nous sommes ensuite passés par une phase de simulation numérique en flexion simple, pour essayer de retrouver les valeurs qu’on avait obtenues en tests physiques sur des palmes référentes validées d’un point de vue usage. Puis la réalisation de prototypes physiques a permis de faire quelques petits ajustements, mais 90 % du travail avait déjà été faits sur le numérique. Grâce à cette conception aux lignes très organiques, que l’on a obtenue grâce au Generative Design, on se retrouve aujourd’hui avec un produit qui a un impact environnemental 50 % moins important qu’une palme référente sur le marché », constate Armand Macé.
Doc : Decathlon
Réduire de 50 % l’impact environnemental
Un exploit quand on sait qu’en éco-conception le passage de l’utilisation d’une matière neuve à une matière recyclée ne fait gagner en moyenne que 10 % en équivalence CO2. C’est pourquoi en partant d’une page blanche, où les choix de matières, de formes et de mise en œuvre étaient totalement libres, les ingénieurs de Decathlon s’étaient ambitieusement fixés un objectif de 30 % de gains CO2.
« De tous les projets sur lesquels j’ai travaillé en innovation et en éco-innovation, je n’ai pas le souvenir qu’on ait atteint un niveau de gain de 50 %. Et alors ce qui est hyper intéressant, c’est la manière dont cela s’opère sur le produit. C’est quelque chose de visible puisque l’on joue sur les formes, alors que le passage à une matière recyclée est quasiment invisible. Ces formes organiques avec un principe racinaire, des ondulations, sont en lien direct avec l’idée d’un déplacement performant dans l’eau. On a un produit qui se raconte tout seul, qui interroge et sur lequel on va très facilement pouvoir aussi ajouter de la donnée grâce à un QR Code moulé, pour expliquer à nos clients en quoi ce travail est le fruit d’une optimisation qui est liée aussi nos émissions environnementales », estime Raphaël Vis.
Une optimisation qui permet à Decathlon de proposer une palme deux fois plus légère que ces concurrentes, tout en étant plus performante. Un gain de poids intéressant lorsqu’il s’agit de transporter ses palmes dans son sac, mais qui se traduit surtout par un déplacement dans l’eau très fluide et très réactif, d’où son nom, qui vient la positionner dans la gamme entre les produits souples et les produits puissants.
« Avec le Generative Design, on a un levier de conception qui est très efficace pour réduire notre impact environnemental. J’ai envie de l’utiliser sur d’autres conceptions de palmes et je pense qu’à l’échelle de Décathlon, c’est quelque chose que nous devons dupliquer sur l’ensemble de nos gammes de produits, parce que les résultats sont là et plus que positifs », estime Armand Macé.
Les contraintes du recyclage
Si l’on veut réduire son impact environnemental, il faut penser recyclage dès la conception. Ainsi il faut par exemple éviter d’associer des matières qui ne se recyclent pas de la même manière. « Si les polyoléfines sont assez simples à recycler mécaniquement, c’est plus compliqué pour les laminés multicouches utilisés pour les matelas gonflables, les stand-up paddle ou les kayaks. Il faut alors passer à du recyclage chimique pour séparer les différents composants. Aussi plutôt que d’associer des composants pas recyclables de la même manière, par exemple une valve qui n’est pas compatible avec du PVC sur un matelas, empêchant son recyclage mécanique, on va choisir un matériau compatible pour la valve, plutôt que faire migrer le produit complet vers une filière de recyclage chimique moins mature », explique Raphaël Vis.
L’utilisation de matière recyclée a aussi son lot de contraintes. « Par exemple, pour notre palme React, la voilure est en PP 100 % recyclé, un matériau qui ne se plastifie pas et qui revient très bien, quelle que soit la déformation qu’on lui impose. Malheureusement, il n’est disponible qu’en noir, alors que nos commerciaux auraient souhaité des couleurs plus gaies. Mais nous avons intégré cette demande dans notre jeu de contraintes pour la définition d’une future palme de snorkling grand public, en partant d’une matière de base de couleur ivoire facilement teintable. Une concertation collective qui permet d’anticiper les choix et de ne pas les subir », constate Armand Macé.
L’innovation ne fonctionne que quand elle part de contraintes
« Cela fait maintenant à peu près 20 ans que je travaille sur la conception de produits. J’ai remarqué que l’innovation ne fonctionne que quand elle part de contraintes. Que ce soit des contraintes d’usage, de fabrication ou environnementales, je pense que c’est dans ce cadre-là que l’on innove. D’ailleurs, je vois de plus en plus d’entreprises se rajouter des contraintes. On parle d’innovation frugale, de low tech, de low power… Dans ces cas de figure, on va ajouter plusieurs contraintes au départ, pas uniquement les émissions de gaz à effet de serre, mais aussi le fait d’avoir des produits réparables, le fait d’avoir des produits qui sont éligibles à la circularité, que ce soit par l’économie de la fonction ou d’autres biais, et on va ajouter aussi la volonté de produire en local, d’utiliser des composants locaux… Tout cela en fait, ce sont des ingrédients intéressants à prendre en compte dès le départ dans un projet d’innovation pour qu’il soit pleinement réussi », conclut Raphaël Vis.
Jean-François Prevéraud Pour en savoir plus : https://www.autodesk.com/fr/customer-stories/decathlon-palme-react
Des palmes en palmes recyclées
Decathlon souhaite utiliser des matériaux recyclés dans ses produits neufs et, si possible, réutiliser de la matière provenant du recyclage de ses produits en fin de vie. Pour cela, il a mené des essais en laboratoire, avec le Centre Technique Industriel de la Plasturgie et des Composites (IPC) à Oyonnax, sur de vieilles palmes broyées et transformées en granulés pour être réinjectés.
« Le broyage permet d’obtenir des polyoléfines mélangés avec des matériaux souples type SEBS (Styrène-Ethylène-Butadiène-Styrène) au niveau du chausson et des matériaux rigides type PP (Polypropylène), chargés ou non en fibres de verre, au niveau de la voilure. Ces matériaux peuvent être séparés par densimétrie ou recombinés pour former un PP Choc, c’est-à-dire un polypropylène enrichi des propriétés mécaniques des élastomères. Ces essais en laboratoire nous ont permis de comprendre ce qui est recyclable et ce qui ne l’est pas, ainsi que d’évaluer ce que l’on va pouvoir réintégrer dans nos palmes de demain », explique Raphaël Vis.
Maintenant, Decathlon commence une expérimentation industrielle en Italie et en Espagne.
« On a collecté à travers les clubs de plongée, en partenariat avec PADI (Professional Association of Diving Instructors), des palmes en fin de vie, pour constituer un gisement d’au moins 6 à 10 tonnes intéressant un recycleur de plastiques. »
Par chance, la Commission Européenne est en train de déployer la REP (Responsabilité Élargie des Producteurs) sur les articles de sport et de loisirs.
« Ça va faire beaucoup bouger les lignes et nous anticipons ce qui va se passer, car nous souhaitons être acteur de ce projet, plutôt que d’être juste un pollueur-payeur. »